mardi 10 octobre 2017

Ilka Schönbein - Article presse TouteLaCulture

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Ilka Schönbein présente son ensorcelant "Ricdin Ricdon"
et confirme l'ampleur de son génie [FMTM17]

 



Ilka Schönbein est une artiste totale, par la maturité de ses propositions comme par
l'engagement avec lequel elle s'investit dans son art. Elle a toujours largement débordé de toute
case dans laquelle on aurait voulu l'enfermer. On l'a souvent comparée à Pina Bausch, dans sa
propre discipline, et il est impossible, après avoir vu ce spectacle, de ne pas acquiescer: oui,
Ilka Schönbein est possédée par une grâce, un génie et un talent propres à envoûter,
littéralement, quiconque s'y confronte. Avec Ricdin Ricdon, présenté au Festival Mondial des
Théâtres de Marionnettes, elle met en scène avec amour et précision un conte qu'elle relie au
destin de l'artiste, interprété par les talentueuses Pauline Drünert et Alexandra Lupidi. Un chefd'oeuvre.
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Ilka Schönbein fait à peine de la marionnette: on a plutôt envie de suggérer qu'elle fait de la
sorcellerie. La sensibilité, le talent avec lesquels elle réécrit et met en scène des histoires à la
fois magnifiquement drôles et cruelles, des farces inquiétantes qu'elle habille de ses
marionnettes et de son jeu corporel particulier qui exige un engagement total, l'ont, de longue
date, classée à part dans le milieu des arts de la marionnette.

Après plusieurs années d'absence, c'est avec émotion et impatience que ce nouveau spectacle,
Ricdin Ricdon, inspiré du conte du même nom (le conte-type 500 dans la classification Aarne-
Thompson, aussi connu en France comme le Nain Tracassin, en Allemagne comme
Rumpelstilzchen), était attendu par le public. Ilka Schöbein y met en scène deux interprètes de
talent, Pauline Drünert, jeune marionnettiste allemande extrêmement prometteuse, et la
complice Alexandra Lupidi, génialissime musicienne dotée de surcroît d'un don renversant
pour la comédie. Sous de tels auspices, il semblait improbable que le spectacle soit moins que
génial.
De fait, en une soixantaine de minutes, toute l'inquiétante cruauté de cette sombre parabole
se déploie, dans une mise en scène épurée qui laisse un champ immense pour que le talent
des artistes puisse s'exprimer et amener le public à ressentir, le plus complètement, toutes les
nuances émotionnelles du récit. Pauline Drünert est ainsi juchée sur une sorte de podium d'où
elle manipule les marionnettes figurant les différents personnages: de simples têtes (pouvant
servir de masque) pour le Roi, le meunier et la Reine, et une très inquiétante petite marionnette
à main pour le nain Ricdin Ricdon, qui lui confère un aspect presque arachnéen, tout-à-fait
anormal et surnaturel. S'y ajoute l'incarnation en jeu de comédien de la fille du meunier, qui
donne lieu à des interactions typiques du style d'Ilka Schönbein entre la marionnette du nain et
sa manipulatrice, dont le corps se retrouve comme envahi par la marionnette, cette dernière
prenant à ce moment l'ascendant sur l'interprète, qui succombe presque à une possession. De
façon périphérique, de belles trouvailles dans des manipulations d'objets viennent figurer
certains événements, par exemple l'utilisation d'un parapluie pour cacher-révéler la marionnette,
ou pour figurer un ventre de femme enceinte, ou un berceau pour le nourrisson.
En appui de ce jeu marionnettique, la géniale Alexandra Lupidi donne la mesure de son
immense talent d'artiste, et de son aisance sur scène. Elle a la charge d'offrir un contrepoint à
l'atmosphère sombre et oppressante du conte notamment en offrant des interactions
comiques avec la salle. Elle le fait avec une gouaille, un sens du rythme et une maîtrise du
masque et des déguisements qui sont absolument sans faille. Elle prête également sa voix à la
plupart des personnages, renouvelant ainsi la dissociation, souvent rencontrée dans l'histoire
de la marionnette mais guère plus vue sur nos scènes, entre celle qui manipule et celle qui
interprète le dialogue. Mais, surtout, elle porte à elle seule toute la mise en musique du
spectacle, à la force de son talent de multi-instrumentiste, y compris les nombreuses
chansons qui émaillent les apparitions du nain, auquel elle insuffle une sorte de bouffonnerie
menaçante.
Pour Ilka Schöbein, ce conte est comme une allégorie du destin de l'artiste, qui, pour
transformer la paille en or métaphorique, doit lui aussi pactiser avec un démon, et lui céder
jusqu'à des parcelles de sa propre vie. "Quelque chose de vivant m'est bien plus cher que
toutes les richesses au monde", croasse ainsi le personnage surnaturel quand il exige
paiement. Et cette lente dévoration de l'intérieur, cette possession par un être insatiable tapis
dans les recoins de son propre esprit, Ilka Schönbein les donne à voir avec une rare
intelligence par son utilisation de la marionnette corporelle. Une pièce sombre, où plane,
comme toujours chez elle, la menace de la mort, mais également l'espérance et l'amour,
comme un appel à ce que jamais la vie ne renonce à se manifester dans toute sa beauté,
même au bord de l'abîme. Une farce inquiétante, visuellement magnifique.

La salle, debout, applaudira pendant dix longues minutes. Un public en larmes mais au comble
du bonheur.
D'Ilka Schöbein, on peut dire une chose avec certitude, alors même que beaucoup nous
échappent: il y a un avant, et il y a un après.
Les prochaines représentations de ce spectacle magique auront lieu les 15 et 16 novembre
2017 à 19h00 au Théâtre de la Poudrière - Neuchâtel (Suisse). Mais des dates
supplémentaires sont d'ores et déjà annoncées en France.
"Ricdin-Ricdon"
Directrice artistique et mise en scène : Ilka Schönbein
Jeu et musique : Alexandra Lupidi
Jeu et manipulation : Pauline Drünert
Création musicale : Alexandra Lupidi
Création des marionnettes : Ilka Schönbein
Assistante à la mise en scène : Anja SCHIMANSKI, Britta ARSTE
Création et régie lumière : Anja Schimanski
Décor : Suska Kanzler
"Et bien, dansez maintenant"

Avec : Ilka Schönbein
Musique : Suska Kanzler et Alexandra Lupidi
Visuels: (c) Marinette Delanné